Les zones à faibles émissions vont rendre les villes inaccessibles à près de la moitié des Français
La loi d'orientation des mobilités (LOM) a instauré l'obligation de mettre en place une « Zone à faibles émissions » (ZFE) lorsque les normes de qualité de l'air sont régulièrement dépassées en 2019.
Afin d'
atténuer les émissions de polluants, certaines villes
"limitent" leur accès à certains types de véhicules selon leur âge.
Si les villes parlent de restrictions de circulation ou de limitation de circulation pour rendre la mesure plus populaire auprès de leurs administrés, dans les faits, il s'agit d
'interdiction de circulation de véhicules selon leurs âges, avec des véhicules concernés de plus en plus récents, répondants à des normes de dépollution récentes et peu émetteurs de polluants.La mise au ban d'une majorité de véhicules n'est pas acceptée par la population. À Strasbourg, 83% des habitants de la commune d'Illkirch-Graffenstaden se sont ainsi prononcés en faveur d'un référendum sur la ZFE et
65% d'entre eux se disaient défavorables à l'interdiction des véhicules diesel.
Mises en place dans plusieurs États européens (Suède en 1996, Tunnel du Mont-Blanc entre France et Italie en 2002, Allemagne en 20087), les « Zones à faibles émissions » (ZFE) sont appelées à se multiplier.
Si la restriction de la circulation des véhicules considérés comme étant les plus polluants
paraît être une mesure adaptée pour réduire les concentrations de polluants émis par les déplacements de véhicules motorisés, elle crée des
contraintes pour la mobilité individuelle.
Et ces contraintes sont d'autant plus criantes, que les restrictions de circulation se transforment en interdiction de circulation pures et dures et parfois très contestables.
Comment expliquer qu'un véhicule diesel acheté en 2023 et répondant aux toutes dernières normes de dépollution soit interdit de circulation à compter du 1er janvier 2024 dans la Ville de Paris et dans la Métropole du Grand Paris?La réponse à cette question n'est ni environnementale, ni technique, elle est purement politique. De
manière "dogmatique" plus que scientifique, les véhicules diesel répondants aux toutes dernières normes de dépollution se sont vus attribuer par le politique un
certificat Critair 2 quand les véhicules essence disposent d'un
certificat Critair 1.
Ces contraintes imposées par le politique peuvent se révéler lourdes de conséquences pour
les habitants et les entreprises n'ayant d'autre choix que de se déplacer en véhicule motorisé et ne pouvant acquérir un véhicule moins polluant.
À cet égard, la mise en place d'une ZFE peut être vécue comme une mesure renforçant les inégalités sociales, économiques et territoriales.
Les restrictions de circulation
constituent un risque évident pour l'accessibilité des villes pour certains publics.
A ce titre, il n'y a pas de doutes sur le fait que les interdictions de circulation
soient à l'origine d'inégalités sociales et territoriales.
Les ZFE vont
exclure de la ville des millions de ménages en France.
En réglementant l'accès des véhicules personnels à une zone, la ZFE introduit une contrainte sur les déplacements des personnes, lesquelles peuvent mettre en place, sous réserve d'en avoir les moyens financiers, différentes stratégies d'adaptation.
L'annonce de la mise en place future d'une ZFE peut conduire les automobilistes à anticiper les interdictions de circulation en achetant un véhicule (momentanément) autorisé à la circulation (récent, électrique,
hybride, selon les modalités de la ZFE).
Lorsque la ZFE est effective, les automobilistes n'ayant pas fait l'
achat d'un véhicule autorisé à la circulation font face à une alternative : ils doivent soit se résoudre à changer de véhicule, soit se reporter vers d'autres modes de transport (marche à pieds, trottinettes, vélo, transports en commun, etc.).
Les ménages Français n'ont pas d'autres alternatives. Contourner une ZFE n'est pas possible, rouler dans une ZFE expose l'automobiliste à payer de lourdes amendes et à ne pas être couvert par son
assurance automobile en cas de sinistre.
La littérature scientifique a analysé les conséquences socioéconomiques des restrictions de circulation sur des secteurs d'activité tels que la logistique urbaine, mais
les analyses des effets socioéconomiques potentielles d'une ZFE sur le déplacement des personnes sont inexistantes.
Les études d'impact tendent à se concentrer sur les effets de la ZFE sur la qualité de l'air.
Les
impacts socioéconomiques sont analysés comme des impacts secondaires de la ZFE.
La ZFE
permet d'agir sur le renouvellement du parc automobile et de
réduire le nombre de véhicules en circulation à moyen et long termes sans se préoccuper des conséquences socio-économiques pour certains publics.
La ZFE agit comme un
levier permettant de renouveler plus rapidement le parc automobile et de réduire les émissions unitaires de chaque véhicule roulant.
Cette
injonction au changement de véhicule impose un
surcoût aux ménages devant renouveler un voire plusieurs véhicules pour pouvoir continuer à se déplacer dans les ZFE.
La ZFE agit comme une
obsolescence programmée, qui ne permettrait plus à un automobiliste de démarrer son véhicule dès lors que son véhicule ne réunit plus les critères d'âge requis, rendant son remplacement obligatoire.
Les constructeurs en ont rêvés, le politique l'a fait
en ignorant tout des conséquences socioéconomiques de la mesure sur certains publics.
En France, une enquête de l'INSEE indiquait que
74% des actifs utilisaient leur automobile pour se rendre au travail. Cette proportion croît à mesure que la distance parcourue est importante. Ainsi, si dans les communes denses et sur de courtes distances, la part de l'automobile est plus faible qu'ailleurs, grâce à la présence de transports en commun et à la pertinence des modes actifs (vélo, marche à pied, etc.), le constat est différent dans les communes périphériques des métropoles.
Dans ces communes, le salaire moyen par habitant est moins important que dans les communes denses ou le
prix élevé de l'immobilier est inaccessible pour ménages Français les moins aisés.
En d'autres termes, la nécessité d'
acheter un véhicule neuf pour continuer à pouvoir se déplacer au sein de la ZFE, faute d'alternative aussi efficace,
pèse davantage sur les finances des habitants des communes périphériques, dont les revenus moyens sont moins importants que ceux des habitants de zones denses.
Cette contrainte peut avoir pour conséquence de
contraindre les publics les plus fragiles de renoncer à des déplacements et donc à des opportunités d'emplois, de formations, ou de loisirs.
Jean Coldefy, expert et directeur du programme Mobilité 3.0 à ATEC-ITS France,
s'interroge quant à l'acceptabilité de cette mesure au regard de ses potentiels effets socioéconomiques :
« comment interdire à près de la moitié de nos concitoyens de se rendre à leur travail, les emplois étant concentrés dans les agglomérations, et les utilisateurs de la voiture étant très majoritairement ceux n'ayant pas de solutions alternatives? ».
Les interdictions de circulation mises en place dans les ZFE ont de lourdes conséquences pour certains publics et accroissent les inégalités socioéconomiques.
Source: Zones à faibles émissions : sommes-nous en train de rendre les villes inaccessibles ? par Camille Combe, chargé de mission, La Fabrique de la Cité,
Note - 11 mai 2021