La vente de
véhicules électriques et hybrides rechargeables est désormais bien lancée. En 2021, les particuliers ont délaissé les véhicules diesel au profit des véhicules électriques ou hybrides rechargeables : 316 000 véhicules électrifiés ont été commercialisés, soit 18% des ventes totales en France. Nous devrions dépasser le million de véhicules à batterie circulant en France cette année. La bascule est opérée.
La flotte circulant allant croissante, il devient nécessaire de mieux organiser les modalités de recharge de ces véhicules, et en particulier de rendre plus accessibles les bornes de recharge. Très souvent, nous avons le réflexe de penser à « faire le plein » comme pour un véhicule thermique. Et nous constatons avec effroi que le niveau d'équipement des stations essences en bornes de recharge reste faible en France. Elles apparaissent sur les grandes stations autoroutières et quelques stations phares des grandes villes, mais souvent peu de bornes en vue dans nos campagnes ou nos stations-service de supermarché.
En réalité, la
voiture électrique nécessite un rapport totalement différent à l'énergie. Avec une
voiture thermique, le plein est fait lorsque la jauge est proche de zéro. En quelques minutes le réservoir est rempli et le conducteur repart pour 500 kilomètres ou plus.
Avec l'électron, ce comportement est à bannir.
La majorité des bornes sont des bornes de recharge lente ou modérée entre 3,7 kVA et 22 kVA et nécessitent plusieurs heures pour recharger les batteries. Le rapport au temps impose sa loi. Personne n'imagine rester 3 heures devant une pompe à essence pour faire le plein. C'est donc naturellement pendant les temps morts longs que la voiture doit être rechargée. Et les deux temps réguliers, coutumiers et longs de stationnement de tout véhicule sont le domicile et, pour certains, le lieu de travail.
Les statistiques sur la répartition des lieux de recharge d'un
véhicule électrique en découlent : 40 à 80% du temps au domicile, 0 à 40% du temps sur le lieu de travail, 10 à 20% en itinérance en station-service ou sur une station de recharge publique. Cette dernière est minoritaire : à l'opposé du véhicule thermique !
Et, avouons-le, cette recharge en itinérance est pénible. Car même avec un super-chargeur de 150 kVA, il faudra attendre plusieurs dizaines de minutes pour recharger. Alors l'utilisateur ajuste et ne fait qu'un demi-plein pour ne pas excéder les 30 minutes.
Avec la recharge électrique, le plein d'énergie devient totalement décentralisé. A terme, ce ne seront plus les 12 000 stations-service actuelles qui délivreront l'énergie du transport mais les millions de points de charge présents dans les maisons et les parkings privés des copropriétés ou d'entreprises.
Un autre élément fait rapidement arbitrer le consommateur sur le lieu de son point de charge : le
prix. Nous avons tous le souvenir d'avoir essayé d'optimiser le choix de notre pompe à essence pour gagner une dizaine de centimes par litre, soit un écart de généralement 5% du prix.
En matière d'électricité, sur une recharge en heure creuse à domicile à 0,1270 €/KWh et une recharge sur un réseau de recharge rapide sur autoroute à 0,60 €/KWh, l'écart est de 500% ! Naturellement, les prix sont difficilement comparables car l'un, à domicile, n'est que le
coût d'un électron supplémentaire fourni sur un point de livraison dont l'usager paye déjà l'abonnement pour sa maison, alors que celui d'une station-service intègre l'amortissement des travaux d'installation de la borne de recharge rapide et le service professionnel associé. Toutefois, le consommateur ne jugera que le coût marginal qu'il débourse à l'instant de sa recharge. Et dans tous les cas, il privilégiera in fine la recharge à son domicile ou son lieu de travail.
La recharge en énergie des
voitures va donc complètement changer. La recharge en itinérance et en station-service sera limitée lorsque nous n'avons pas le choix, notamment lors de grands déplacements de plus de 300 kilomètres, tandis que la recharge en parking privatif au domicile ou en entreprise deviendra majoritaire.
Il y a donc un enjeu d'infrastructure très important, à la fois sur le réseau électrique, géré par RTE et ENEDIS ou le GRD, et sur les infrastructures de bornes à installer dans la partie privative des maisons ou des immeubles. Selon l'INSEE en 2020, la France comptait 20,3 millions de maisons dont 10% de résidences secondaires et 15,7 millions de logements collectifs.
Quasiment chaque maison dispose d'une place de parking, lorsqu'environ 45% des appartements en logement collectif disposent d'une place de parking privative. Il y a donc à terme 20 millions de maisons à équiper et environ 7 millions de places de parking en copropriété et chez les bailleurs sociaux. Un peu comme la fibre depuis 20 ans, il y a devant nous un beau et grand défi pour renforcer le réseau électrique public et déployer les derniers mètres de câble et leurs bornes.
Tribune d'expert signée Emmanuel Croc, Président de Bornes Solutions et Groupe OCEA, écrit le 01/03/2022